
ETUDE DE JURISPRUDENCE - L’ENJEU DE L’IMPUTABILITE DE LA FAUTE DE L’ETABLISSEMENT AUX DOMMAGES DU PATIENT
CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 20/02/2025, 21BX03363[1][2]
Faits :
Le 10 octobre 2014, Mme B. a subi au centre hospitalier de Pau une éthmoïdectomie antérieure gauche pour le traitement d'une pansinusite fronto-ethmoïdale gauche résistante aux traitements. Cette intervention a été compliquée par un hématome extradural frontal antérieur gauche.
L'évolution de cette complication a cependant été rapidement favorable. Mme B. a toutefois conservé des céphalées intenses, associées à des troubles neurocognitifs.
Mme B a porté son action devant le Tribunal administratif de Pau et ensuite devant la Cour administrative d’appel.
La question se pose ici de savoir si les séquelles ont un lien direct et unique avec le geste médical.
Discussion :
Devant le Tribunal administratif de Pau, une première expertise médicale a conclu que l'hématome extradural était la conséquence d'une maladresse dans la réalisation de l'intervention.
Il est toutefois admis que cet hématome n'était pas à l'origine des troubles importants présentés par l'intéressée, mais seulement d'un déficit fonctionnel temporaire et de souffrances endurées.
Le tribunal administratif de Pau a alors condamné solidairement le centre hospitalier de Pau et la SHAM.
En cause d’appel, la cour a retenu la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Pau dans la survenue de l'hématome extradural et ordonné une expertise complémentaire afin de déterminer la part des dommages imputables à cette faute médicale. Plus précisément, la cour a demandé à l’expert si les céphalées invalidantes et les troubles associés étaient en lien avec l'intervention du 10 octobre 2014.
Il faut rappeler que pour engager le responsabilité d’une personne, le juge doit identifier un fait générateur, tel qu’un geste maladroit (qualifié de faute) un dommage, (de fortes céphalées) et enfin un lien de causalité certain et direct entre la faute et le dommage allégué.
L'Imputabilité est en effet une condition essentielle pour engager la responsabilité de l’établissement. L’imputabilité désigne le lien direct et certain entre un acte médical, un événement dommageable ou une faute, et les préjudices subis par la victime.
En matière de responsabilité administrative, cette notion est fondamentale pour établir si le dommage est directement lié à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins effectué dans un établissement hospitalier public.
En l’espèce l’appréhension de l’imputabilité constitue le fond du litige. C’est tout l’enjeu des deux expertises dans cette affaire qui ont permis de circonscrire la responsabilité de l’établissement à une seule partie des dommages.
L'expertise médicale est ici un outil d'évaluation de l'imputabilité. L'expertise médico-légale joue en effet un rôle essentiel dans la démonstration de l'imputabilité.
Le médecin-expert analyse les liens entre l'acte médical et les séquelles subies par la victime. Il vérifie si les dommages sont directement et certainement imputables à l'acte médical ou à une défaillance dans la prise en charge.
En cas d'incertitude sur l'imputabilité, l'expertise doit alors exposer les arguments scientifiques pour et contre les hypothèses concurrentes, permettant ainsi au juge de se prononcer sur la responsabilité en fonction de la charge de la preuve.
En l’espèce, l'expert missionné a constaté que les céphalées avaient été acutisées par l’intervention chirurgicale, et a estimé que le vécu douloureux de la complication chez une personne psychologiquement fragile avait probablement joué un rôle délétère. L’expert a conclu que ces troubles étaient liés à la dépression et aux médicaments antalgiques et psychotropes.
Ainsi, l'expert a proposé de retenir une imputabilité à l'intervention chirurgicale pour un tiers des troubles actuels, mais a précisé qu'aucun argument n'était en faveur d'un lien direct entre l'hématome extradural et les céphalées.
La cour d’appel a dans ces conditions jugé que l'acutisation des céphalées et les troubles cognitifs associés n'ouvraient pas droit à une indemnisation supplémentaire en raison d’un défaut d’imputabilité au-delà de la responsabilité établie par les juges de premières instances.
Conclusion:
Cet arrêt permet de rappeler qu’il faut toujours garder à l’esprit qu’au-delà de la faute parfois évidente, et des dommages souvent immédiatement appréhendables, le contexte particulier liés aux antécédents du patient et de sa maladie peut parfois venir tempérer la responsabilité de l’établissement de soins lorsque le juge analyse l’imputabilité des dommages au fait générateur.
C'est tout l'enjeu du débat sur l'imputabilité des dommages au fait générateur.
[1] Article publié dans la Revue Objectif soins & Management, AVRIL – MAI 2025
[2]https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000051252953?init=true&page=1&query=21BX03363&searchField=ALL&tab_selection=all
Historique
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